Interview
La Russie construit un 'arc de fer' autour de l'Europe
L'intervention de la Russie en Libye est conçue pour entourer l'Europe dans un "grand jeu" de géostratégie, selon un ancien chef de l'armée italienne.
Luigi Binelli Mantelli, qui a dirigé les forces armées italiennes de 2013 à 2015, a confié à EUobserver que la tentative de la Russie de s'imposer en Libye est un problème bien plus important que celui du pétrole, des migrants ou des terroristes.
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Il estime que l'objectif principal du président russe Vladimir Poutine est que la Russie "joue un rôle croissant en tant que puissance mondiale, dépassant ainsi les États-Unis en tant que chef de l'ordre international d’après Guerre Froide".
Selon lui, la Russie essaie d'y parvenir en "renforçant sa présence stratégique" en Arctique, dans la Baltique, en Mer Noire et en Méditerranée, un ensemble qu'il décrit comme un "arc de fer".
L’amiral à la retraite prévient que son point de vue ne représente pas la position officielle de l'Italie, une ancienne puissance coloniale en Libye, qui mène les efforts de l'UE pour rétablir l'ordre dans ce pays fragmenté.
Le nouvel "arc de fer" a vu la Russie rouvrir des bases de l'ère soviétique dans le Grand Nord et doubler ses forces militaires dans son enclave de Kaliningrad, sur la mer Baltique.
Il y a trois ans, la Russie s'est emparée de la Crimée au détriment de l'Ukraine et a renforcé sa présence militaire dans cette péninsule de la mer Noire.
Elle a également renforcé sa base navale en Syrie et a convenu avec la Chine le partage d’une nouvelle base navale à Djibouti.
Elle cultive aussi des liens étroits avec l'Egypte et avec un chef de guerre libyen, Khalifa Haftar.
"Si vous regardez les bases navales [russes], en particulier la base partagée avec la Chine, l'Europe est en quelque sorte encerclée par son côté Est et son côté Sud", explique Binelli Mantelli.
Il note que le conflit ukrainien est dans une "impasse", mais que l'Occident était désormais en "rivalité ouverte" avec la Russie pour l'influence en Méditerranée.
En Libye, la Russie a fourni argent et équipements, entraînement de ses combattants et soutien diplomatique à Haftar, un ancien chef de l'armée qui contrôle l'Est du pays et que Mantelli décrit comme le seul homme en mesure de rétablir l'ordre.
La Libye et Haftar
L'amiral italien estime que le Gouvernement d'Unité nationale (GNA), basé à Tripoli, reconnu par l'ONU et soutenu par l'UE et l'OTAN, est "faible".
"Le seul parti en Libye ... qui a la chance de refaire l'unité du pays ou du moins exercer un pouvoir sur le pays est Haftar. Le gouvernement de Tripoli est très faible et divisé, et pourrait s'effondrer à tout moment", juge Mantelli.
Pour le militaire italien, il est "raisonnable" de penser que Poutine demandera à Haftar la permission de construire une base navale russe en Libye en échange de son soutien.
Il estime que les déploiements russes ne devraient pas être considérés "en termes d'opérations militaires" contre l'UE, mais plutôt "en termes de grande stratégie, d’un jeu ingénieux" pour améliorer son statut sur la scène internationale.
Il estime également que rivaliser avec la Russie est le rôle de l'OTAN, pas celui de l'UE.
"Aujourd’hui, l'UE n’est, à mon avis, pas un pouvoir stratégique ", dit-il.
Les projets européens de coopération militaire approfondie en sont toujours à un stade assez précoce. Les États européens sont divisés sur des questions fondamentales, comme sur du degré d'intégration et sur la manière de gérer la crise des migrants. Ils doivent également faire face au Brexit et au virage isolationniste des États-Unis sous Donald Trump.
La Realpolitik
L'Occident a fait une erreur, explique-t-il, en "avançant trop vite" pour essayer de s'aligner avec des pays comme la Géorgie, que la Russie a envahi en 2008, ou l'Ukraine.
Il estime qu'une "approche plus prudente" dans l'ancienne sphère soviétique, une région "sensible", aurait peut-être donné "des résultats plus positifs" en termes d'expansion de l'influence occidentale dans ces pays.
L'Occident devrait "adopter une stratégie nette et réaliste avec la Russie ... c’est-à-dire une coopération plus qu'une opposition ouverte aux actions de Poutine", dit-il, en faisant référence à une possible coopération sur des question comme l'immigration, la lutte contre le terrorisme et la reconstruction de la Libye.
Selon lui, l’Occident devrait dans le même temps "concurrencer" la Russie en forgeant ses propres liens avec la Chine, l'Egypte, l'Iran et la Libye.
Binelli Mantelli précise qu'il parle en termes de "realpolitik", mettant de côté son point de vue sur les valeurs démocratiques ou humanitaires.
"Je ne suis pas en faveur de Poutine. Je suis simplement réaliste,", note-t-il.
"Haftar est le meilleur choix de realpolitik en Libye, pas le meilleur en termes de démocratie ou de droits de l'homme", a-t-il déclaré.
"En Libye, vous avez besoin de quelqu'un de fort, comme Kadhafi, qui était capable de contrôler ces personnes [les tribus armées de Libye]," insiste-t-il. "Ce n'est pas politiquement correct, mais vous devriez être réaliste."
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