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19th Mar 2024

Investigation

Le Pen-Poutine: des liens qui remontent à loin

  • Marine Le Pen dit qu'elle n'a rencontré Vladimir Poutin qu'une fois, alors qu'elle l'a rencontré trois fois. (Photo: Marine Le Pen/Facebook)

Au siège de campagne de Marine Le Pen, dans le VIIIe arrondissement de Paris, trône un curieux tableau. Un triptyque représentant la candidate à l’élection présidentielle française entourée des présidents russes et américains, Vladimir Poutine et Donald Trump.

Sur fond noir, dans le pur style des fresques soviétiques, les regards tournés vers un horizon commun. L’œuvre a été offerte à Marine Le Pen par une militante nationaliste russe lors d’une rencontre à Paris, quelques jours après la visite officielle de Marine Le Pen à Moscou, le 24 mars.

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  • Au Parlement européen, les 22 députés FN votent comme un seul homme lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts russes. (Photo: europarl.europa.eu)

Ce jour-là, la cheffe du FN a fait le voyage depuis Paris pour une rencontre surprise avec l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine. Un joli coup politique en pleine campagne présidentielle, qui devait permettre à Marine Le Pen d’affirmer sa volonté en cas de victoire de placer la France au centre d’un axe nationaliste Washington-Paris-Moscou.

En s’affichant avec la candidate frontiste à seulement un mois du premier tour de l’élection présidentielle, le président russe a envoyé un signal fort à la France et à l’Europe, désavouant les spécialistes des réseaux franco-russes qui disaient le Kremlin déçu des résultats des élections départementales et régionales en 2015, où le Front national n’a remporté aucun exécutif local.

Outre le soutien appuyé au chef d’État russe, la candidate du FN n’a cessé, ces derniers mois, de dire tout le bien qu’elle pensait du président américain Donald Trump. Au moins jusqu’au 6 avril, jour où le milliardaire a lancé une offensive militaire contre le régime syrien, ravivant les tensions avec la Russie, alliée de Bachar El Assad.

Un axe Washington-Paris-Moscou

D’après trois différentes sources au Front national, ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine et Marine Le Pen s’entretiennent : deux autres rencontres auraient déjà eu lieu, mais dans la plus grande discrétion, en 2014 et 2015.

Trois sources haut placées au Front national nous ont affirmé que Marine Le Pen avait en réalité déjà rencontré Vladimir Poutine auparavant, dans le plus grand secret, en 2014 et 2015.

Le fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen a lui même concédé dans un documentaire diffusé récemment sur la BBC.

"Je ne l’ai jamais rencontré. Mais Marine l’a rencontré", a-t-il assuré, en parlant de président Poutine, dans une déclaration formulée avant la visite de mars dernier.

Son conseiller international Aymeric Chauprade avait aussi explique, en décembre 2014, sur BFMTV, qu’une "rencontre non officielle" et "amicale" a eu lieu avec le chef d’État russe.

Marine Le Pen n’a jamais confirmé ces informations, allant même jusqu’à les démentir en affirmant n’avoir "rencontré qu’une fois" Vladimir Poutine.

"Elle m’a donné le feu vert pour parler de sa rencontre avec Poutine, puis elle m’a désavoué", nous a confié l’eurodéputé Chauprade, qui a quitté le parti fin 2015 sur un désaccord politique et personnel. Il assure que ce désaveu n’était rien d’autre qu’une "peau de banane" glissée sur sa route pour "[le] discréditer auprès des Russes" :

Au-delà de permettre à la candidate de se tailler une stature de chef d’État, tout en sortant de son isolement à l’international, la rencontre du mois dernier pourrait avoir une autre justification, moins avouable : l’argent.

À en croire Ludovic de Danne, le conseiller aux affaires internationales de Mme Le Pen, la candidate "n'a abordé aucune question liée à un quelconque prêt bancaire".

Millions russes

La question n’est pourtant pas aberrante. D’abord parce que le Front national est encore à la recherche de plusieurs millions d’euros pour financer la campagne présidentielle mais aussi les législatives, en juin.

Ensuite parce que le parti d’extrême droite a profité de plusieurs prêts russes ces trois dernières années, comme l’a révélé Mediapart.

En avril 2014, Jean-Marie Le Pen a décroché, via son parti politique personnel, Cotelec, un emprunt de deux millions d’euros grâce à l’intervention d’un oligarque russe. Ces fonds ont permis de financer en mai 2014 la campagne des européennes du parti frontiste.

Cinq mois plus tard, Marine Le Pen a obtenu à son tour, pour le Front national, un prêt de neuf millions d’euros auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB). Cette obscure banque moscovite a perdu sa licence en juillet 2016, et son ex-vice-directeur a été arrêté en janvier, soupçonné de détournements de fonds massifs.

Puis, en juin 2016, la présidente du FN a validé une troisième demande de prêt avec une autre banque russe, la Strategy. D’après le document, signé de la main de Marine Le Pen et publié par Mediapart le 30 mars, cet emprunt de trois millions d’euros, au taux de 6%, était "destiné à financer la campagne électorale française" de Marine Le Pen.

Mais en juillet 2016, la Strategy a elle aussi perdu sa licence bancaire. Wallerand de Saint Just, le trésorier du Front national, assure que ce "projet" "n’a eu aucune suite".

Au cœur de deux de ces prêts, on trouve un même intermédiaire : le député européen frontiste Jean-Luc Schaffhauser. Doté d’un carnet d’adresses fourni dans les pays de l’ex-URSS, M. Schaffhauser a travaillé comme consultant pour Auchan, Dassault et Total, avant d’être débauché par la présidente du FN, en 2012.

L’eurodéputé a reconnu avoir été rétribué par une commission de la banque pour le "travail effectué", à hauteur de "140 000 euros".

Mais plusieurs sources mentionnent une rémunération de "450 000 euros". Si l’eurodéputé a démenti l’allégation, Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère de l’économie, a néanmoins transmis un signalement à la justice française.

Ce rapprochement entre le Front national et la Russie fait aussi l’objet d’une attention approfondie outre-Atlantique.

Début 2016, le DNI (Director of National Intelligence), qui coordonne les agences du renseignement américain, a lancé une enquête sur cette proximité grandissante.

Fin novembre, Washington a soupçonné le Kremlin de vouloir aider le FN à travers un prêt de 28,7 millions d’euros, selon l’hebdomadaire le Canard enchaîné. Des cadres du parti ont démenti l’information.

Mais les soupçons d’ingérence, comme ce fut le cas dans l’élection de Donald Trump n’ont pas été levés. Dans leur rapport, les agences de renseignement américaines jugent que "Moscou appliquera les leçons" apprises dans la campagne américaine "pour de nouvelles tentatives d’influence dans le monde entier, y compris contre des alliés américains et leurs alliés".

En Europe, d'autres formations parlementaires dites "europhobes" ont été soupçonnées ces deux dernières années d'avoir bénéficié de prêts provenant de Russie, à l’instar d’un élu du Jobbik, le parti d'extrême droite hongrois, d’une élue sur les listes de l'Union russe de Lettonie, ou de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), le parti anti-euro allemand.

Lobbying pro-russe

Le Front national a toujours pris soin de distinguer les prêts octroyés par les banques russes avec la ligne politique défendue par le parti.

En avril dernier, l’intermédiaire Jean-Luc Schaffhauser a ainsi affirmé à la BBC que le prêt de neuf millions d’euros signé en septembre 2014 "n’était pas un prêt politique" mais "un prêt commercial".

Toujours au sujet de cette aide financière et des interrogations qu’elle suscite, Marine Le Pen a pour sa part jugé, en novembre de cette année-là que "ces insinuations [étaient] outrancières et injurieuses". "Au motif que l’on obtient un prêt, cela déterminerait notre position internationale ? Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne [pro-Russe]".

De fait, depuis l’effondrement de l’URSS, le Front national a toujours été pro-russe.

Mais alors que Jean-Marie Le Pen était en relation avec des ultra-nationalistes russes, sa fille s’est rapprochée des cercles du pouvoir poutiniens, et ce dès son accession à la tête du parti, en janvier 2011.

Neuf mois plus tard, dans un entretien au quotidien russe Kommersant, Marine Le Pen déclare qu’elle "admire" Vladimir Poutine et que "la crise donne la possibilité de tourner le dos aux Etats-Unis et de se tourner vers la Russie".

Elle prépare une tournée de dix jours en Crimée et en Russie qui aura lieu en juin 2013. Trois autres déplacements suivront, en avril 2014, mai 2015 et mars 2017. Hors agenda, elle a aussi rencontré deux personnages clé dans l’obtention des prêts russes.

D’abord Alexandre Babakov, le conseiller de Poutine en charge de en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger, en février 2014. Ce sénateur, membre du parti pro-Kremlin Russie Unie, figure sur la liste des sanctions européennes et est la tête d’un patrimoine immobilier caché en France, estimé à plus de 11 millions d’euros.

L’homme d’affaires est à l’origine du prêt de 9 millions d’euros du FN. Quelques mois plus tard, la présidente du FN s’est entretenue avec l’oligarque Konstantin Malofeev, proche du Kremlin, qui est lui intervenu dans le déblocage du prêt de deux millions d’euros à Cotelec. "Un rendez-vous en remerciement de ce prêt qui allait financer la campagne des européennes", d’après Aymeric Chauprade, présent lors de cette rencontre organisée à Paris.

Surtout, la présidente du FN s’est livrée, avec son parti, à un intense lobbying pro-russe.

Les députés Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen se sont par exemple prononcés en faveur de la levée des sanctions imposées par l’Union europénne à la Russie, en avril 2016.

À Strasbourg, les 22 eurodéputés votent comme un seul homme dès qu’il s’agit de défendre les intérêts russes. Ce fut notamment le cas à propose de l’accord d’association avec l’Ukraine, auquel ils s’opposent en septembre 2014. Ou le rapport sur la propagande anti-UE du Kremlin qu’ils rejettent en novembre 2016.

Dans cette entreprise de séduction en direction de Moscou, il faut aussi noter les déplacements de l’intermédiaire Jean-Luc Schaffhauser, qui s’est rendu à deux reprises dans la région du Donbass, en Ukraine, en octobre 2014 puis en mai 2015, pour soutenir les séparatistes pro-russes.

Sa première visite a eu lieu deux mois après la signature du prêt de 9 millions d’euros. Officiellement, l’eurodéputé s’y était rendu seul, et de sa propre initiative. En réalité, il était accompagné par le directeur de cabinet de Marine Le Pen, Nicolas Lesage, et une équipe de Nations Presse Info, un site de propagande satellite du Front national.

Leur mission : offrir une légitimité aux élections du Parlement et de l’exécutif organisées dans ce petit État autoproclamé par les séparatistes, avec le soutien du Kremlin mais la désapprobation de Kiev, des États-Unis et de l’Union européenne.

Avec le Donbass, le Front national a également porté une attention toute particulière au sort de la Crimée.

En mars 2014, au lendemain du référendum organisé par les séparatistes pro-russes sur le rattachement de la Crimée à la Russie, Marine Le Pen a ainsi déclaré qu’ "à [son] sens les résultats du référendum sont sans contestation possible".

Une déclaration forte dont s’était réjoui un responsable du Kremlin le jour même, dans des SMS révélés par des hackers russes. Dans ces textos, il est question de la "manière" dont il faudra "remercier" la présidente du FN.

Cette position sur la Crimée, la candidate l’a réaffirmée en janvier 2017, au moment où elle cherchait ostensiblement des financements pour sa campagne : l’annexion de cette région n’est pas "illégale" a-t-elle redit, car la Crimée n’a "jamais été ukrainienne".

Mais le pouvoir russe a lui aussi mis un pied au Front national. En novembre 2014, deux mois après la signature du prêt de 9 millions d’euros, une délégation russe était l’invitée d’honneur du congrès du parti frontiste, à Lyon.

Deux élus du parti de Vladimir Poutine avaient notamment fait le déplacement : Andreï Issaïev, vice-président de la Douma, et Andreï Klimov, chef adjoint de la commission des Affaires internationales de la Chambre haute du Parlement.

Ce jour-là, Issaïev a livré sur scène un discours très applaudi, en russe, entonné par un "chers Camarades". Il y attaquait le "coup d’État anticonstitutionnel" en Ukraine et les "fonctionnaires inconnus de l’Union européenne, qui sont les marionnettes des États-Unis".

Des voyages mi-diplomatiques, mi-financiers

Diplomatiques ou financiers ? Officiels ou "privées" ? Dans ses voyages à l’étranger, Marine Le Pen entretient toujours la confusion.

Ces derniers mois, ses déplacements au Tchad, au Liban, en Égypte, aux États-Unis, au Canada, en Russie, ou celui du secrétaire général du FN, Nicolas Bay, en Israël, ont été entourés de mystères.

Des visites tenues secrètes jusqu’au dernier moment, des rencontres annulées et remplacées par des "points presse", "réunions de travail" et autres "déjeuners" à "huis clos". Mais aussi des discussions financières.

En juillet 2014, Marine Le Pen a reçu à son domicile, dans le plus grand secret, un représentant des Émirats arabes unis. D’après son ancien conseiller international, Aymeric Chauprade, "le représentant émirien a expliqué que son pays voulait aider le Front national à lutter contre les fondamentalistes islamistes".

Après avoir évoqué la possibilité d’un déplacement en Égypte, un pays allié, le porte-parole de l’État émirati aurait lâché : "Nous vous aiderons à gagner". "Cela signifiait qu’ils pouvaient apporter de l’argent pour le financement de la campagne présidentielle", estime Aymeric Chauprade, présent lors de cette rencontre.

Lorsque la présidente du FN est allée à la Trump Tower à New York, en janvier, une levée de fonds a été organisée par Guido Lombardi, un ami de Trump qui se présente comme le “go-between” des droites extrêmes européennes.

Marine Le Pen a-t-elle finalement obtenu un financement à l’étranger pour soutenir sa campagne présidentielle ? À cette question, la candidate frontiste n’a jamais répondu.

Marine Turchi est journaliste à Mediapart, Mathias Destal est journaliste Marianne. Ils ont récemment publié "Marine est au courant de tout…"

Cet article a été originellement publié en anglais

This article was originally published in English

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